AUTO #24 - SRT41: MISSION LE MANS 2020

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21.01.19

Deux ans après les 24 Heures du Mans, Frédéric Sausset, amputé de 4 membres, se lance dans une autre aventure incroyable dans le monde du sport automobile: former une équipe complète de pilotes handicapés pour une saison d'endurance.

Photo par Pascal Aunai

En 2016, Frédéric Sausset surprend le monde de la course automobile en surmontant un handicap grave en tant que quadruple amputé, pour participer à la course d'endurance la plus célèbre du monde, les 24 Heures du Mans.

Le récit qui suit est une histoire d'ambition, de courage et de détermination remarquables. Sausset se remet d'une infection en 2012 qui avait nécessité une amputation des jambes au-dessus du genou, et d’un bras au niveau de l'avant-bras, et se fixe pour objectif de courir au Mans. Quatre ans plus tard, après avoir créé la technologie et l'équipement nécessaires à la conduite d'une voiture de course, Sausset mène son prototype spécialement adapté de Morgan LMP2 sur les circuits et dans l’histoire. Et ce n’est qu’un début. La semaine précédant l’évènement Garage 56, auquel il participe en tant que nouveau venu (évènement autour de technologies et projets innovants), Sausset annonce qu'après la course, avec le soutien de la FIA et de l'organisateur de l'Automobile Club de l'Ouest (ACO ) - il s’efforcerait de constituer une équipe de voitures de sport pour pilotes handicapés. Au lendemain de son exploit au Mans, ses projets semblent passer au second plan alors qu’il se fait un nom dans sa région - sa biographie est alors écrite et publiée par le journaliste français Stefan Lhermitte - et il retourne dans le business textile qu’il gère avec sa femme Frédérique depuis 26 ans. En sous-marin, cependant, Sausset est en train de développer le prochain chapitre de son épopée.

La création d’une équipe

Par le biais d'une initiative intitulée "Un volant pour tous", l'entrepreneur recrute trois autres pilotes handicapés pour sa nouvelle équipe - l'ancien pilote japonais de MotoGP et de Superbike, Takuma Aoki, et l’expert en motocross belge, Nigel Bailly - tous deux paraplégiques à la suite d'accidents de la route - et Snoussi Ben Moussa, instructeur de conduite professionnel depuis 10 ans malgré la perte d’une main.

« Notre sélection s’est basée sur les qualités humaines autant que que le professionnalisme et les compétences en pilotage, » explique Sausset. « 38 pilotes ont postulé grâce au bouche à oreille et 12 sont venus faire les tests au Mans sur le circuit Bugatti en octobre 2017. »

« Ils ont piloté mon Audi R8 customisée, sous les instructions de Christophe Tinseau assis à leur côté. Il restait encore 6 pilotes pour les tests du proto Ligier dans l’après-midi… On tenait à ce que l’équipe finale forme une famille, » précise-t-il.

L’équipe a fait ses débuts en piste sur le Circuit Paul Ricard en mai avec la Ligier JSP3 avec une 23ème place en LMP3. Un score amélioré sur le circuit de Dijon-Prenois en juillet avec une P17.

« On a fait une belle course à Dijon. Nous étions à seulement trois secondes de Mathias Beche sur un des tours, c’est une référence du WEC, donc c’est très positif. L'équipe s’unit lentement, bien que le changement de pilote prenne encore beaucoup de temps. Nous nous améliorons techniquement, physiquement - côté pilotes et mécaniciens, » a déclaré Sausset, ajoutant qu'il avait l'intention de travailler sur le changement de pilote avec les autorités du sport automobile, ainsi que sur les résultats de son équipe.

« Le changement de pilote est notre plus gros problème car nous ne pouvons pas le faire aussi vite que les autres", a-t-il déclaré. "Nous discutons de cet aspect avec les promoteurs de VdeV, la FIA et la Fédération Française (FFSA). Il serait bon d’arriver à une sorte d’équilibre des performances pour compenser cette situation, car nous avons vraiment un gros handicap à ce niveau.

« Nous ne voulons pas d’une série spécifique pour les handicapés, nous tenons à participer aux séries classiques. C’est très important aussi pour Gérard Saillant, le Président de la Commission Médicale de la FIA, » souligne Sausset. Et il souhaite également que son équipe « s’inscrira dans la durée, avec des pilotes handicapés de haut-niveau dans différentes séries, pas seulement en endurance. »

Malgré les difficultés, ils continuent de s’améliorer jusqu’au mois dernier, au Circuit de Navarre en Espagne, à l'issue d'une course de six heures, l'équipe de débutants a pris la P13. Il reste encore deux manches de VdeV: les quatre heures du Mans en octobre et les Six heures d'Estoril en novembre. Et au-delà de la série de cette année, l'objectif principal est Le Mans en 2020. Le président de l'ACO, Pierre Fillon, a déjà validé l’entrée de La Filière Sausset, avec un patron à nouveau en route pour le Garage 56.

"On se prépare pour 2019, avec Gérard Neveu (directeur du WEC), qui soutient le projet de création d’une académie française pour les pilotes handicapés de haut niveau, » a déclaré Sausset. « Nous attirons l’attention des médias, mais selon pas, pas assez sur le niveau de performance de nos pilotes. C’est encore compliqué au niveau des sponsors, même pour les grosses équipes, mais je pense qu’on apporte quelque chose de fondamentalement différent, un nouveau set de valeurs sociales et sociétales, une perspective différente en somme. »

Mais alors qu’en est-il de l’EMLS 2019 supposée servir de tremplin pour le Mans de l’année suivante ? « L’an prochain, on va avoir un problème de budget. Alors on préfère reporter l’EMLS à 2020, avant le Mans, au cas où on courrait en GTE aux 24 Heures, » explique-t-il. « À un moment donné, on pensait que la Michelin Le Mans Cup était une bonne option, mais deux heures avec 3 pilotes, ça n’est hélas pas assez long pour nous. Et on cherche toujours des sponsors, ce n’est pas facile. »

On ne peut empêcher l’homme de rêver, et l’esprit inépuisable de Sausset voit bien au-delà de son équipe d’endurance, il planifie entre autres de tester une monoplace de Formule E. « Je dois en parler avec Jean-Todt (Président de la FIA) au plus vite. Ca pourrait se faire facilement puisque la technologie est compatible avec le handicap. En Formule E, il suffit d’accélérer et de freiner. Le logiciel de notre voiture LMP2 au Mans a fonctionné à la perfection, je suis sûr qu’il peut s’adapter à d’autres voitures de course, en plus du projet Le Mans.


« J’aimerais progresser dans le projet de test de la Formule E. Il faut également convaincre les partenaires potentiels de nous fournir les fonds nécessaires et les assurer que l’investissement dans cette filière est une bonne décision, » a ajouté le boss. Son prototype Morgan LMP2 2016 est aujourd’hui au Musée des 24 Heures du Mans.

« Nous sommes parfaitement crédibles, » estime Sausset. « Nous avons un pilote belge, un japonais, Takuma Aoki a aussi fait du MotoGP donc il a un impact fort au Japon. Nous pensons également organiser une démonstration en Amérique du Nord et une autre en Asie, puis au Japon pour les Jeux Olympiques de Tokyo en 2020. Il nous faut plus de budget en plus de celui de La Filière.

Les prochaines sélection pour l’équipe auront lieu en 2020, pour un nouveau cycle de trois ans, messieurs, à vous de jouer… 

La course pour tous

En fin d’année dernière, la FIA a mis en place une nouvelle commission pour les personnes handicapées et l'accessibilité. Sa présidente, Nathalie McGloin, explique les objectifs du groupe.

Quel est le but de la Commission handicap et accessibilité de la FIA? "Le mandat est simple: faire du sport automobile le milieu sportif le plus inclusif au monde, sans compromis sur la sécurité. C'est ma mission personnelle de montrer au monde que ce sport est accessible à tout le monde. « 

La commission a été créée fin 2017. Quels sont les objectifs initiaux? "Les principaux piliers de cette année sont la création d'un processus mondial d'octroi de licences pour personnes handicapées, le développement du programme ‘Back to Racing’ (retour en course) pour les pilotes victimes d’accidents qui voient leur vie et la poursuite de leurs rêves en sport automobile totalement chamboulés, ainsi que la mise en place d’une stratégie visant à approuver l’adaptation des véhicules de compétition.

Y a-t-il autre chose à faire en dehors du cockpit, en ce qui concerne l'accessibilité du sport automobile pour tous ceux qui assistent ou travaillent dans le milieu de la compétition ? "Après avoir présenté le trophée de la troisième place au Grand Prix de Grande-Bretagne (ci-dessus), il est évident qu’il faut commencer à rendre les circuits plus accessibles aux personnes handicapées. J'espère poser les bases d'une campagne «Podiums accessibles» qui débutera en 2019 et qui rendra tous les circuits GP accessibles aux concurrents, volontaires, officiels et spectateurs, avec des plans pour filtrer les circuits qui ne correspondraient pas aux normes FIA. "

Plus globalement, c’est un très gros défi que vous vous lancez ? « Lorsqu’il s’agit de projets à l’échelle mondiale, le défi est forcément de taille. Il y a énormément de pilotes handicapés accomplis et inspirants qui sont en compétition partout dans le monde, ils facilitent mon travail de part leur chemin de carrière et l’héritage qui en découle. Je pense que Frédéric Sausset a ouvert une porte au Mans en 2016. Ce que Billy Monger a réalisé, c’est un exemple parfait de ce que j’explique : subir une blessure qui change toute votre vie n’impacte en rien le désir ou la capacité à obtenir d’excellents résultats en sport automobile. Gustav Engljähringer gagne dans sa catégorie ou monte sur le podium à presque chaque manche du VLN en ce moment, et en tant que seul tétraplégique de la série. Par conséquent, lorsque je suis confrontée à une opposition aux projets que l’on planifie avec la commission, je prends ces exemples pour preuve que c’est possible. C’est réalisable dans les conditions de sécurité standard et le handicap mérite sa place à haut-niveau. »