En piste vers un avenir plus durable
Le sport automobile et le développement durable sont depuis longtemps liés, et les innovations que l’on retrouve dans les championnats de la FIA continuent d'être un moteur pour l’avenir de la technologie en constante évolution sur et hors des routes.
Une compétition intense, des normes rigoureuses de fair-play, le travail d'équipe, le divertissement, les bénéfices - voici les éléments clés de cette " grande " discipline qui touche le cœur et l'esprit des circuits bondés. Mais pour qu'un sport puisse survivre, il faut qu'il s'inscrive dans le cadre de normes établies par la société. En tant que microcosme du monde en général, le sport ne peut se tenir en marge des agendas dominants de la société, et doit donc jouer un rôle non seulement dans l'alignement des progrès, mais aussi dans leur définition. L'un des plus grands problèmes auxquels la planète est confrontée aujourd'hui est celui de la durabilité. Bien que l'environnement soit une préoccupation primordiale pour beaucoup, la durabilité ne concerne pas seulement le monde dans lequel nous vivons - elle doit également comprendre la durabilité des opportunités, des efforts et du progrès. C'est une question que la FIA, dans le monde entier et de manière plus ciblée par le biais de sa Commission pour l'environnement et le développement durable, s'est engagée à aborder, comme en témoigne le Président de la Commission et ancien Président du Mexique Felipe Calderón. « La FIA, en tant qu'acteur international, a à la fois l'opportunité et le devoir de s'impliquer directement dans le débat mondial sur la durabilité, avec ses organisations membres, ses partenaires et d'autres parties prenantes extérieures », a-t-il déclaré. « La contribution de la Fédération à la l'inscription de l'automobile dans une mouvance durable a déjà un impact positif, et une grande partie de la technologie et de l'innovation que l'on voit aujourd'hui dans l'industrie automobile provient du sport automobile. » Depuis ses premières incarnations, le sport automobile a été l'un des principaux moteurs du progrès technologique - pionnier du développement des freins à disque, des boîtes de vitesses semi-automatiques et des systèmes de suspension active, entre autres technologies. Mais au cours de la dernière décennie, la FIA a visé spécifiquement, via les règlements régissant les championnats, une pertinence routière accrue grâce aux innovations issues de la compétition et au transfert de technologie qui en résulte. Et l'essentiel de l'innovation a été axé sur l'efficacité et la durabilité. « Par exemple, en Formule 1, la vision de la FIA en matière d'innovation dans le sport automobile, avec une technologie durable et adaptée à la route, remonte à une décennie exactement. La discipline a vu l'introduction en 2009 des premiers systèmes hybrides et de récupération d'énergie, » a déclaré Calderón. « Transformer des batteries lithium-ion d'un dispositif de stockage d'énergie pure en un dispositif de redistribution de puissance est une percée technologique qui a rapidement commencé à porter ses fruits sur les circuits, et dont les résultats sont aujourd'hui visibles dans les voitures électriques à haute performance.» L'exemple se répète dans tous les grands championnats de la FIA, de sorte que le vice-président de la FIA pour le sport, Graham Stoker, estime que l'ingénierie sportive est de plus en plus à l'avant-garde de la lutte pour la durabilité. « Nous avons une histoire remarquablement réussie à raconter, car le sport automobile repose avant tout sur l’efficacité » , dit-il. « Même le style de pilotage à haut niveau - que ce soit en rallye, en Formule 1 ou, en particulier en course d'endurance - est une question d'efficacité. Il s'agit de prendre de bonnes trajectoires, de bien gérer le freinage et de prendre soin des voitures. Si on se penche sur les voitures elles-mêmes, la légèreté du châssis a un impact sur l’efficacité. L'aérodynamique a un impact sur l’efficacité et, lorsqu'on arrive à la propulsion, toute l'éthique derrière le développement des moteurs consiste à les rendre efficaces au possible. Voilà ce dont il s’agit. Pour moi, c'est une partie intégrante du sport dont nous devons parler aux gens. Le point le plus important est que tout sport moderne doit fonctionner dans le cadre des enjeux actuels de la société et, à l'heure actuelle, l'un des enjeux majeurs est la durabilité. Nous devons aborder la question de front et il me semble que si nous le faisons et montrons que nous contribuons à trouver des solutions, alors nous protégeons également notre sport. »
Depuis son lancement en 2014, le championnat entièrement électrique de Formule E de la FIA est le porte-drapeau de l'effort d’innovation. Première série internationale de course monoplace électrique au monde, la Formule E est un terrain d'expérimentation pour l'évolution de la technologie des batteries. Dans ses premières années, chaque E-Prix allait de paire avec un changement de voiture lors des courses. Mais dès la saison 5 du championnat, la Formule E a pu disposer d'une voiture électrique capable de parcourir une distance de course complète, avec une puissance de 50kW portée à 250kW. Les voitures sont maintenant alimentées par des batteries de deuxième génération dont la capacité de stockage est presque doublée par rapport au modèle précédent, un développement technologique que l’on retrouve dans les routières. Au cours de la saison 2017/18, la Formule E est la première série de courses automobiles à avoir obtenu la certification ISO 20121 pour l'organisation d'événements durables. La série s'est associée au Programme des Nations Unies pour l'environnement afin d'améliorer la qualité de l’air, et s'efforce de devenir un événement qui bannit le plastique à usage unique. Pour les huit principaux constructeurs automobiles engagés dans le championnat, c'est le potentiel de la série à agir en tant que laboratoire technologique qui est au centre de l'attractivité de la Formule E. « En tant qu'équipe, nous avons une philosophie : être dans la course à l’innovation » , déclare James Barclay, directeur de l'équipe Jaguar Racing. « Cela signifie un certain nombre de choses, mais la clé est le transfert de technologie de la piste de course à la route, puis de nouveau à la course. Nous n'en sommes qu'au tout début du développement de ces technologies et, même si le matériel n'est peut-être pas exactement le même que celui que l'on retrouve dans les voitures routières, nous travaillons beaucoup sur les composants. Par exemple, nous tentons d’obtenir la meilleure vitesse possible ainsi que l’autonomie maximale avec une batterie. C’est un point qu’il est pertinent de développer pour pouvoir le transférer aux routières. » La Formule E a été lancée l'année même où la F1 est passée à ses moteurs actuels, un V6 turbocompressé d’1,6 litre très avancé qui remplace les moteurs V8 de 2,4 litres à aspiration naturelle utilisés depuis 2006. Les motorisations hybrides F1 actuelles produites par Mercedes, Ferrari, Renault et Honda sont des merveilles de l'ingénierie moderne. En 2019, les voitures de F1 produisent plus de puissance et roulent à des vitesses plus élevées sur la même distance qu'à la fin de l’année 2013, en consommant moitié moins de carburant.
LABORATOIRE F1
Andy Cowell, directeur général de Mercedes AMG High Performance Powertrains, est l'un des responsables du bond en avant de la F1 dans la technologie hybride. Pour Cowell, c'est la quête incessante de plus de puissance, de vitesse et d'efficacité qui a été le plus grand moteur d’avancée technologique du sport automobile. « Les règlements de la Formule 1 concernant le contrôle du débit de carburant, plutôt qu'un contrôle du régime et de la cylindrée du moteur, monopolise toute notre attention », dit-il. « On a une certaine quantité d'énergie hydrocarbonée et on remporte des courses en parvenant à transformer une plus grande partie de cette énergie en propulsion utile. Qu'il s'agisse d'une machine électrique, d'un moteur ou d'un cheval, tout est question de propulsion. Il s'agit de propulser la personne et ses biens sur la route, » poursuit M. Cowell. « C'est sur ce point que les ingénieurs, les artisans et les techniciens de Formule 1 sont tout à fait brillants dans leur capacités à rendre cela possible. Ce qu’ils ont mis en place pour le week-end dernier peut encore être amélioré pour le week-end suivant. Le fait d'avoir des règlements prévis, où il y a une quantité limitée d'hydrocarbures par unité de temps et de les convertir en propulsion utile, signifie que l’on contrôle absolument tout ce qu'il se passe. C'est une sorte d'approche obsessionnelle et compulsive : Eh bien, nous l'avons fait, mais c’était hier, alors c’est déjà obsolète. Que pouvons-nous envisager pour demain ? » Pour Masashi Yamamoto, directeur général de Honda F1, dont le retour en Formule 1 en tant que motoriste en 2015 était en partie une réponse au défi posé par les nouvelles motorisations, le sport automobile est un laboratoire essentiel non seulement pour le développement technologique mais aussi pour le développement des effectifs. « C'est un laboratoire utile dans le sens où nous pouvons envisager d'utiliser certaines des technologies pour les transférer à la production de masse, » dit-il, « mais c'est aussi un environnement précieux pour le développement de nos ingénieurs. De plus, pour Honda, la Formule 1 devient aujourd'hui le domaine de rassemblement des technologies de pointe qu'elle a développées ailleurs que dans l'industrie automobile. Par exemple, la dernière mise à jour du groupe moto-propulseur que nous avons apportée au Grand Prix de France est le fruit d'une collaboration avec les ingénieurs de la division Avions de Honda Jet. L'interaction et la communication entre les ingénieurs de différentes disciplines sont un bénéfice de ce croisement entre les différentes divisions Honda, conduisant à une réflexion nouvelle et à de nouvelles technologies », explique-t-il. « Par conséquent, nous pensons que la F1 est un laboratoire précieux, où nous pouvons appliquer des méthodologies d'essais et d'erreurs à des technologies de très haut niveau. »
BÉNÉFICES IMMÉDIATS
Cette technologie de haut niveau a permis de réaliser des gains décisifs. Il y a deux ans, quatre saisons seulement après le début de l'ère hybride de la F1, Mercedes a déclaré que lors d'un essai au banc dynamométrique dans son usine de groupes motopropulseurs haute performance à Brixworth, au Royaume-Uni, son moteur M08 EQ Power+ F1 avait enregistré un rendement thermique supérieur à 50 pour cent. Pour la première fois, un moteur de course produit plus d'énergie utile que d'énergie perdue. « Les moteurs à aspiration naturelle [les V8 qui ont précédé la génération actuelle] ont commencé à un rendement thermique d'environ 29% », explique M. Cowell. « Cinquante pour cent, ça représente la possibilité d'aller plus loin avec le même réservoir de carburant. Il y a donc un gain de 20 % en quelques années seulement. » Ces gains phénoménaux, bien qu'ils visent la Formule 1, ont aussi des répercutions sur la route. « Prenez l'énergie qui se trouve dans la masse et la vitesse de la voiture et mettez-la dans un dispositif de stockage », dit M. Cowell. « Qu'il s'agisse d’une batterie lithium-ion, d'un ultra-condensateur ou d’une roue d’inertie, il faut stocker l’énergie et la redistribuer. Cette connaissance transférée dans le monde de l'automobile routière permet d'avoir un système léger qui récupère l’énergie de la masse et de la vitesse de la voiture, la stocke et l'utilise ensuite pour augmenter l’autonomie. Cela implique l’utilisation de moins d’énergie issue du carburant ou de la batterie pour atteindre des vitesses supérieures. »
La Formule 1 est loin d'être la seule à faire progresser les capacités des véhicules hybrides et des batteries. Le Championnat du Monde d'Endurance et son épreuve phare, les 24 Heures du Mans, ont été parmi les premiers leaders de la technologie des moteurs hybrides. La TS040 LMP1 conçue par Toyota pour la course du Mans en 2014 a directement influencé le développement de la Toyota Prius 2016, la voiture hybride la plus vendue au monde. Les travaux menés par Porsche, Audi, Toyota et Peugeot sur les moteurs hybrides et les systèmes de récupération d'énergie utilisés au Mans ont déjà été répercutés sur les voitures routières actuelles, tout comme les essuie-glaces et les ceintures de sécurité sont passés du Circuit de la Sarthe à l'usage courant au fil des ans. Et selon Graham Stoker, des événements comme les rallyes de cross-country ont eux aussi un rôle à jouer. « Les rallyes se déroulent souvent dans des pays sensibles ; ils sont sponsorisés par les services touristiques de l'administration centrale et locale. Ils sont bien reçus car gérés de façon sensible et durable et qu'ils ont d'énormes retombées positives. Chaque fois qu’il y a une catastrophe quelque-part dans le monde, les premiers secours arrivent généralement en véhicules à 4 roues motrices. À ce sujet, le développement du sport automobile a un message positif à diffuser. « En contribuant à la propulsion des technologies qui alimentent nos transports, privés et publics, le sport automobile a montré qu'il a un rôle à jouer dans le développement de notre mobilité future. Quels que soient les défis à venir, l'humanité devra maintenir des moyens de transport fiables et efficaces tant pour les biens que pour les personnes. En tant que moteur d'une technologie efficace, conçue selon les normes de sécurité les plus élevées, le sport automobile est bien placé pour jouer un rôle central dans le développement d'un avenir durable. Le sport automobile a une contribution majeure à apporter dans le dialogue qui se déroule en ce moment et je pense que c'est plutôt excitant », conclue Stoker. « Il s'agit de promouvoir un changement social positif et de faire face à des problèmes urgents dans la société. Le sport a un rôle fabuleux à jouer, mais nous avons un champ d’action très particulier - nous sommes capables non seulement d'offrir un sport puissant qui compte pour beaucoup de fans, mais aussi d'apporter des changements technologiques et de contribuer au processus de durabilité. »
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